Une médecin nutritionniste malgache engagée dans la lutte contre la malnutrition et l’insécurité alimentaire et fervente adepte de la spiruline (Propos recueillis par Julien Bello et le Dr Nicole Laudignon)

Le Dr Josette, telle qu’elle se fait appeler au quotidien, a toujours eu la vocation de lutter contre la malnutrition et la pauvreté. Tout d’abord infirmière puis sage-femme, elle a complété sa formation par des cours en médecine préventive puis en maladies tropicales. Aidée par une communauté religieuse de Mulhouse, elle a entamé des études de médecine à l’âge de 31 ans et a obtenu son diplôme en 2014. Elle a suivi de nombreux cours par correspondance et effectué des stages dans des universités françaises pour se perfectionner. Elle est maintenant spécialisée en chirurgie, en management social, en nutrition et maladies métaboliques…. Installée comme médecin nutritionniste à Tananarive, elle a beaucoup d’autres activités: elle est membre de l’association des Médecins de l’Océan Indien et est consultante pour des projets humanitaires pilotés par le Conseil Général de la Réunion. Elle a aussi créé en 2008 l’association SAOAKILONGA (« beaux enfants » en dialecte de la région Betsileo) qui gère 3 programmes intégrés de nutrition à Madagascar. Elle démarre actuellement un nouveau projet de lutte contre la malnutrition dans le sud de Madagascar.

Dr Josette, pouvez-vous nous expliquer d’où vous vient votre vocation et votre formidable énergie?

Issue d’un milieu très pauvre et ayant souffert avec ma famille de la malnutrition, j’ai compris très jeune que devenir infirmière ou médecin serait le meilleur moyen pour agir de façon efficace. Toutes les spécialités acquises au cours de mes années d’études m’ont permis d’être très autonome sur le terrain et me donnent la légitimité pour former à mon tour d’autres médecins et infirmières.

Quelle est la situation aujourd’hui à Madagascar ?

La situation reste extrêmement préoccupante. Mon pays reste un des plus pauvres de la planète avec 9 personnes sur 10 gagnant moins de 2 dollars par jour. Le taux d’analphabétisation est massif: 70% des enfants arrêtent l’école dès l’âge de 7 ans car la scolarité est payante.

La malnutrition demeure un problème majeur à la fois de santé publique et socio-économique qui touche une grande partie de la population, particulièrement les enfants en bas âge et les femmes enceintes et allaitantes. Environ 47% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique; environ 9% des enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aigüe, taux pouvant augmenter jusqu’à 50% dans les périodes de “soudure” (saison des pluies d’octobre à mars). Le risque de mortalité infantile est un des plus élevés au monde.

Quelle est l’alimentation typique d’un enfant malgache?

La base de l’alimentation est constituée essentiellement de riz. Des graines ou des haricots sont parfois ajoutés dans le bol, mais les légumes et la viande pratiquement jamais. Les légumes sont le plus souvent exportés. Les familles préfèrent les vendre pour pouvoir s’habiller et se chauffer. La viande n’est consommée que dans de rares occasions : une fête ou quand un enfant est malade.  Le poisson est facilement trouvé dans les régions côtières mais trop coûteux pour les populations vivant loin des côtes.

Il y a aussi le poids des traditions, des tabous, des habitudes culturelles qui aggravent les situations de malnutrition : “les oeufs sont mauvais pour les enfants“, “la femme enceinte ne doit pas manger de viande“, “les hommes doivent manger plus que le reste de la famille, même si la mère est enceinte“….

Cette alimentation peu variée et pauvre en nutriments est à l’origine de carences multiples, incluant l’anémie par manque de fer.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’association Saoakilonga que vous avez créée?

C’est tout d’abord 3 centres nutritionnels, l’un près de de Tananarive, le second entre Antsirabe et Tananarive et le 3ème à 120km d’Antsirabe, dans les communes de Tsarazaza et Fandriana. Là, des déjeuners nutritifs et des collations sont proposés 2 fois par semaine aux enfants.

 

Avec l’aide de 2 responsables par centre, nous avons voulu une approche globale, indispensable pour une efficacité optimisée des programmes de renutrition : enseignement de l’hygiène, aide à la scolarisation, soins médicaux et chirurgie ambulatoire ; pour les mères: cours de nutrition et de cuisine, éducation sur l’exploitation des ressources agricoles tout en préservant l’écologie. Il est indispensable que la communauté se prenne en charge : tout le monde participe. Des séchoirs solaires ont été fabriqués pour sécher les fruits et ainsi les conserver. Nous leur avons appris à confectionner des galettes d’argile qui sont une alternative au charbon de bois pour éviter la déforestation….

Que prescrivez-vous pour améliorer l’état nutritionnel des enfants?

Dans les centres nous leur donnons au moins 2 fois par semaine une alimentation variée et supplémentée en compléments alimentaires naturels et locaux (les barres nutritionnelles “commerciales” fournies par les ONG coûtent trop cher) : la spiruline, les extraits foliaires de luzerne et le moringa. La spiruline est mon complément alimentaire préféré, et celui avec lequel j’ai le plus d’expérience (j’ai commencé à l’utiliser en 2009). Il a été le sujet de ma thèse de doctorat en médecine !

L’effet de la spiruline est spectaculaire et beaucoup plus rapide qu’avec les autres compléments. Au tout début, je l’ai utilisée chez les nourrissons en leur ajoutant une dose adaptée (0,5 à 1g/J) dans les bouillies ou le lait du biberon. Leur poids et leur état général étaient transformés en quelques semaines. J’ai poursuivi en l’administrant plus largement aux enfants de moins de 5 ans et plus en cures de 1, 2 ou 3 mois suivant leur état. Il est souhaitable d’administrer plusieurs cures par an. J’aimerais pouvoir conduire des études cliniques démontrant l’efficacité de la spiruline mais, pour cela, il me faudra aussi le soutien de médecins travaillant dans les hôpitaux. Cela demande une démarche spécifique car ils ne connaissent en général pas encore bien cette algue.

Qu’apporte la spiruline par rapport aux extraits de luzerne et au moringa?

Elle apporte beaucoup plus de fer que les plantes et ce fer est facilement absorbable : ses propriétés, se rapprochent de celles de la viande.  De plus, la phycocyanine contenue dans la spiruline a des propriétés uniques : stimulation de la formation des globules rouges et globules blancs dans la moelle osseuse, effet anti-oxidant, stimulation de l’immunité aidant à se défendre contre les infections….

Malheureusement la spiruline est plus chère que les autres compléments. A défaut, j’utilise actuellement des extraits foliaires de luzerne. Dans les zones à conditions difficiles (zones reculées, routes peu sures à cause des rebelles), j’effectue des plantations de moringa, qui pousse facilement et sans besoin d’investissement.

C’est pourquoi je lance un appel:  aidez-nous à acheter la spiruline dans les fermes de Madagascar pour que nous puissions continuer à la distribuer aux enfants !

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce projet IHOSY que vous lancez en décembre 2019?

Le projet a pour objectif de réduire l’insécurité alimentaire en formant plus de 150 acteurs de santé dans la région d’Ihorombe, au sud de Madagascar : personnels de santé civile et militaire, les enseignants des écoles, les agents de santé communautaire….

Nous allons aussi mettre en place un centre nutritionnel dans le Centre Hospitalier de Référence de District (CHRD) d’Ihosy, qui sera un centre de référence nutritionnel pour toute la région.

Les bénéficiaires prioritaires seront les femmes enceintes, les femmes allaitantes, les enfants moins de cinq ans, les enfants des écoles primaires. Ils pourront accéder à une éducation sanitaire et nutritionnelle ainsi qu’au dépistage de la malnutrition et à sa prise en charge.

Pour la 1ère phase du projet, le point central d’intervention sera situé à Ihosy, dans la région d’Ihorombe. L’association des Médecins de l’Océan Indien, et l’association Soakilonga seront responsables de son exécution. Le projet sera subventionné par le conseil départemental de la Réunion. 

Nous aurons également la possibilité de réaliser des études cliniques contrôlées dans ce centre hospitalier de référence.

 

Pour faire un don et soutenir l’action du Docteur Josette

https://www.antenna-france.org/agir-avec-nous/faire-un-don/

Pour connaitre les actions d’Antenna France à Madagascar : 

https://www.antenna-france.org/pays/madagascar/